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En 1985, Bruce Springsteen à La Courneuve, une messe rock devant 60 000 personnes

Retrouvez tous les épisodes de la série « Bruce Springsteen et les 40 ans de “Born in the USA” » ici.
Sur le ticket, le changement de lieu ne sera jamais rectifié : « Bruce Springsteen and The E Street Band, stade de Colombes, samedi 29 juin 1985, 19 h 30 ». Il en coûte alors 125 francs, au temps où les places de spectacle étaient précieusement conservées pour leurs visuels. Encore trentenaire, le rockeur bondit comme un cabri dans sa tenue de travail – tee-shirt blanc, jean déchiré au genou, bottes de cow-boy –, équipé de son outil, une guitare électrique Fender Telecaster en frêne. Le bras droit levé haut pour que le plectre s’abatte sur les cordes de l’instrument, geste rappelant les moulinets de Pete Townshend, guitariste des Who, héros britannique du chanteur américain. Depuis son premier disque, Greetings from Asbury Park, N.J., en janvier 1973, Springsteen n’a cessé d’attiser la mythologie et l’imagerie d’un rock désormais mal en point dans cette décennie pop dominée par les synthétiseurs et les clips.
Quitte à ajouter à sa panoplie une bannière étoilée en arrière-plan de la photographie. La musique importée des Etats-Unis une décennie après le débarquement de Normandie ne résonne-t-elle pas comme un cri de libération ? Dans la mémoire collective, le drapeau américain reste associé – dès le titre – à l’album mentionné au dos du ticket : Born in the USA. Commercialisé le 4 juin 1984, c’est le septième de Springsteen et celui qui aura tout changé. Une « explosion nucléaire », selon lui. Le sauveur du rock ’n’ roll se transforme en star internationale qui abat des records. L’album s’écoulera à 30 millions d’exemplaires dans le monde, dont plus de la moitié aux Etats-Unis. Et la tournée qui l’accompagne deviendra la plus lucrative de son temps, en rapportant 90 millions de dollars. Sa puissance de feu aura balayé le récent Victory Tour des Jacksons (Michael et ses cinq frères), avec des places deux fois moins chères, mais le triple de concerts.
La photographie au verso du billet montre Springsteen avant la déflagration. Hilare, il est assis sur le capot blanc de sa Chevrolet Impala de 1963. Un de ces cabriolets qui rugissent dans ses chansons et symbolisent l’évasion pour des personnages ayant souvent perdu femme et boulot. Que leur reste-t-il ? La fraternité, chez lui incarnée par The E Street Band, un gang de six musiciens dominé par les deux mètres de Clarence Clemons (1942-2011), le saxophoniste installé au volant. La route est la maison de Springsteen, et sa « famille, c’est [son] groupe », rappelle-t-il au magazine américain Rolling Stone en décembre 1984. A cette date, l’éternel locataire est pourtant devenu propriétaire. Fidèle à son New Jersey natal, il s’est sédentarisé dans une localité où sa sensibilité politique est minoritaire : les trois quarts des votants de Rumson, peuplée de Blancs à 99 %, viennent de s’exprimer en faveur du républicain Ronald Reagan pour sa réélection à la présidence.
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